L’ouvrage collectif Médiatrices des arts, Pour une histoire des transmissions et réseaux féminins et féministes, sous la direction de Charlotte Foucher Zarmanian, Hélène Marquié et Frédérick Duhautpas, vient de paraître (2022, Presses universitaires de Paris Nanterre, 330 p.). Arts, femmes, histoire : ce volume passionnant et nécessaire prend le parti d’explorer le rôle de transmission joué par les femmes, à travers des éclairages multiples et nouveaux, dans différents domaines des arts, danse, musique, sculpture, mime et marionnettes ou encore littérature. Voici l’argumentaire développé par le trio directeur du recueil :
Une thématique volontairement ouverte à tous les arts…
Dans les histoires des différents domaines artistiques, maîtres, pédagogues, directeurs de lieux de production ou de diffusion, critiques, mécènes, historiens, ou encore syndicalistes sont autant de rôles le plus souvent déclinés au masculin, laissant croire qu’il n’y a pas eu, ou très peu, de femmes dans ces fonctions médiatrices.
Alors que depuis une quarantaine d’années, les travaux autour de la présence des artistes femmes ont fortement contribué à la réécriture des histoires des arts, à soulever la question des impensés de l’historiographie et des valeurs sur lesquelles elle s’est construite, les recherches concernant les femmes dans ces missions moins en lumière, mais cependant indispensables à la création artistique et à sa diffusion, sont restées plus marginales.
Le chantier est immense. Cette publication a pour objectif d’y concourir au travers de contributions concernant différents domaines – arts plastiques et visuels, musique, théâtre et danse – sur une période allant de la fin du XVIIe siècle à nos jours. D’un point de vue à la fois diachronique et synchronique, les questions abordées entrent en écho, permettant de saisir des continuités et des ruptures, des paradoxes et des cohérences, des spécificités propres à chaque domaine mais aussi des invariants.
Au-delà de la (re)découverte de figures restées dans l’ombre, étudier au prisme des relations de genre la présence, la place, les trajectoires de femmes dans des activités de médiation permet aussi de décentrer le regard porté généralement sur les arts, pour considérer leur existence même comme intrinsèquement liée à des processus de circulation, de diffusion et de mises en réseaux – des savoirs comme des personnes.
… dont la musique et ses interprètes féminines
Ma contribution à l’ouvrage rend compte de mes recherches sur les femmes violonistes, dont le Prix du MOZARTEUM DE FRANCE, décerné à Lyon pour ma conférence consacrée aux femmes violonistes en France au XIXe siècle, témoignait déjà. Conformément à la thématique de l’ouvrage, cet écrit pousse cette fois la recherche du côté de la transmission et de la mise en réseaux des interprètes féminines, en examinant le cas des femmes violonistes en France, depuis la création du Conservatoire de Paris en 1795 jusqu’au tournant du XXe siècle.
Condamnées dans leur pratique même, les exécutantes sont, de nos jours encore, gommées de l’histoire de l’instrument et de sa pédagogie. Dans un contexte hostile et quoi qu’en rapporte le récit historique construit au masculin, un nombre important de musiciennes réussit pourtant, dans la deuxième partie du siècle essentiellement, à se frayer un chemin. Surtout, des carrières exceptionnelles aux activités les plus modestes, elles transmettent, trouvent des moyens de diffuser leurs savoirs et d’assurer la circulation de leurs acquis, en France et à l’étranger. De cette mise au jour d’une pratique féminine importante, permise notamment par les résultats du programme de recherche ANR HEMEF[1], découle aussi l’interrogation d’une transmission particulière à l’élément féminin. Des éléments tels que la vêture, évoquée notamment dans un article de vulgarisation pour la Lettre du Musicien, sont également à interroger. En choisissant des exemples significatifs dans le parcours des quelques 150 artistes recensées à ce jour dans mon étude, l’article entend mettre en avant une pratique féminine très méconnue et surtout poser les jalons d’une étude sur la pratique instrumentale des musiciennes envisagée comme vecteur de transmission des savoirs et pratiques acquis au féminin.
Initiée au sein du Laboratoire d’Études de Genre et de Sexualité (LEGS, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis/CNRS, UMR 8238), la publication collective Médiatrices des arts dresse un bilan de trois années de recherche (2016-2019) autour du projet lauréat « Genre et transmission: pour une autre archéologie du genre » (financé par la COMUE UPL et hébergé par le laboratoire Sofiapol), et plus particulièrement de son deuxième sous-axe « Genre, création artistique, matrimoine ». Ma contribution sur les femmes violonistes en France au XIXe siècle, lors de l’atelier du LEGS, était relatée dans ces pages.
[1] Histoire de l’enseignement public de la musique en France au XIXe siècle (1795-1914) (HEMEF), programme soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche et piloté par Cécile Reynaud : EPHE/Saprat, Archives nationales, Bibliothèque nationale de France/IReMus-CNRS, CNSMDP.
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