C’est en « médiatrices des arts », selon le titre de l’ouvrage collectif dirigé par Charlotte Foucher-Zarmanian (CNRS – LEGS), Frédérick Duhautpas (Paris 8 – EA MUSIDANSE) et Hélène Marquié (Paris 8 – LEGS), que j’invite, dans un chapitre de ce volume, à découvrir les femmes violonistes du XIXe siècle français. Après ma conférence consacrée à ces musiciennes lors de l’atelier-séminaire Genre, historiographies et histoires des arts : le matrimoine en questions du Laboratoire d’études de genre et de sexualité (LEGS – Université Paris 8 Vincennes Saint Denis/CNRS), je suis heureuse d’apporter ma contribution à cet écrit en chercheuse associée du LEGS.
« La pratique féminine du violon en France au XIXe siècle, vecteur oublié de la transmission instrumentale »
Le chapitre se propose d’examiner le cas des femmes violonistes en France, depuis la création du Conservatoire de Paris en 1795 jusqu’au tournant du XXe siècle. Condamnées dans leur pratique même, notamment en raison d’une posture à l’instrument jugée inconvenante, les exécutantes sont, de nos jours encore, gommées de l’histoire de l’instrument et de sa pédagogie. Absentes des traités, écartées des classes de violon du Conservatoire jusqu’en 1850, discriminées dans un circuit où imprésarios, directeurs de théâtres, critiques, chefs d’orchestre sont tous des hommes, se heurtant jusqu’au plus haut de l’État à une volonté de restriction de leur pratique, les instauratrices du violon au XIXe siècle voient aussi leur accès très limité à la carrière de musicienne d’orchestre et à l’enseignement dans les établissements publics. Dans ce contexte hostile, un nombre important de musiciennes réussit pourtant, dans la deuxième partie du siècle essentiellement, à se frayer un chemin.
Quoi qu’en rapporte le récit historique construit au masculin, les femmes violonistes sont là, exerçant de multiples activités : interprètes, solistes, chambristes, créatrices, compositrices, professeures. Surtout, des carrières exceptionnelles aux activités les plus modestes, elles transmettent, enseignant en privé, rencontrant les élèves des écoles de musique de province, diffusant leurs savoirs dans les salons qu’elles tiennent et grâce aux formations de musique de chambre féminines qu’elles forment, créant de nouvelles œuvres, assurant la circulation de leurs acquis à l’étranger où elles se produisent, enseignent, voire s’exilent. De cette mise au jour d’une pratique féminine importante, permise notamment par les résultats du programme de recherche HEMEF : Histoire de l’enseignement public de la musique en France au XIXe siècle (1795-1914), découle aussi l’interrogation d’une transmission particulière à l’élément féminin. Les musiciennes véhiculent-elles des pratiques similaires à celles des instrumentistes hommes, dont elles ont d’abord reçu leur formation ? Plusieurs éléments sont à interroger, en premier lieu desquels la vêture, avec le port de vêtements compressifs et d’accessoires volumineux contraignant corps, mouvements et obligeant vraisemblablement les artistes femmes à développer une technique instrumentale différente sur certains points de celle de leurs homologues masculins. En l’absence de travaux menés sur le sujet, soulignons l’importance de cette problématique dans le domaine de l’interprétation historiquement informée (HIP). En choisissant des exemples significatifs dans le parcours des quelques 150 artistes recensées à ce jour, on entend mettre en avant une pratique féminine très méconnue et surtout poser les jalons d’une étude sur la pratique instrumentale des musiciennes envisagée comme vecteur de transmission des savoirs et pratiques acquis au féminin.
Les femmes violonistes, Médiatrices des arts. Pour une histoire des transmissions et réseaux, féminins et féministes
L’ouvrage s’attache à appréhender la thématique choisie au travers d’une diversité de pratiques artistiques. Il s’inscrit au sein du projet « Genre et transmission : pour une autre archéologie du genre », lauréat de la Comue Université Paris-Lumière (UPL). En voici l’argument :
Dans les différents domaines artistiques, les histoires privilégient les hommes comme artistes, « maîtres », pédagogues, comme directeurs de lieux de production ou de diffusion, critiques ou mécènes, mais aussi comme voix de contestation, laissant croire qu’il n’y a pas eu, ou très peu, de femmes dans ces fonctions médiatrices. Dans cette publication collective dressant un bilan de trois années de recherche (2016-2019) autour du projet lauréat « Genre et transmission : pour une autre archéologie du genre » (financé par la COMUE UPL – hébergé par le laboratoire Sofiapol), l’objectif est de s’intéresser aux femmes et aux relations de genre dans ces activités de médiation, capitales pour comprendre les arts à l’intérieur de processus de circulation, de diffusion et de mises en réseaux – des savoirs comme des personnes. Nous souhaitons faire résonner ces questions dans différents domaines – arts plastiques, théâtre, danse, musique, cirque etc. – et sur une période allant du XVIIe siècle à nos jours, pour saisir les continuités et les ruptures, les paradoxes et les cohérences, d’un point de vue à la fois diachronique et synchronique.
Nul doute que ce volume collectif apportera, dans la multiplicité de ses regards et analyses, une pierre passionnante et fondamentale à l’édifice de la connaissance des activités féminines artistiques dans l’Histoire : la parution est attendue dans l’année aux Presses universitaires de Nanterre.